Nous y voilà, LE sujet tabou.
Tabou pour le patient, mais aussi pour le corps médical.
La majorité des médecins considèrent la pose d’une trachéotomie au long cours comme une forme d’acharnement thérapeutique, ou d’obstination déraisonnable pour employer le terme à présent en vigueur.
Excusez-nous de vouloir vivre .
Pour le patient, c’est elle qui marque la frontière entre la vie et la mort, appelons un chat un chat. Le projet funeste de la SLA est de stopper notre respiration en paralysant nos muscles respiratoires.
Pardonnez-moi d’être direct. On meurt principalement d’arrêt respiratoire, j’ai fait le mien en janvier 2017. Grâce à mes directives anticipées, dans lesquelles je stipulais vouloir vivre par tous les moyens, j’ai été sauvé. Cela m’a quand même coûté deux mois de réanimation, je vous passe les détails, mais si je vous raconte ça, c’est une fois de plus pour vous dire de ne pas faire comme moi. Alors, An-ti-cipez !
Si vous avez choisi de vivre, certains diront : mais quelle vie ? Aujourd’hui le seul combat que je mène, c’est celui-là : oui, une vie heureuse est possible, car une fois la trachéotomie posée, bye bye le stress du spectre de la mort. Fuck la mort !
Si vous avez choisi de vivre, disais-je, il faut anticiper ce geste. Si vous avez de plus en plus de difficultés à respirer malgré la VNI (ventilation non invasive) ou si les fausses routes commencent à devenir un réel danger, il est temps de poser sérieusement la question aux médecins qui vous suivent (neuro, pneumo, généraliste…).
Alors de quoi s’agit-il ? En gros, on vous alimente en air via un tube qui s’insère sous votre gorge. Pas très ragoûtant, je vous l’accorde, mais c’est indolore et c’est le prix à payer pour vivre. Non seulement vous voilà ventilé (par un respirateur, dont je vous parle dans un autre article) mais vous êtes également protégé de toute fausse route par un ballonnet qui obstrue votre trachée pour ne laisser passer que l’air.
Voilà la SLA circonscrite.
Normalement c’est un ORL hospitalier qui effectue le geste. C’est un geste simple. Par contre, pour les soins de trachéotomie, c’est toute une histoire. Que vous soyez en HAD (hospitalisation à domicile) ou avec un cabinet de libéraux, il faudra les former, sauf si l’un d’entre eux est un ancien de réanimation. Mais rien d’insurmontable. Pour moi c’est ma femme qui a formé tout le monde, auxiliaires de vie et infirmières compris. Elle a été formée en réanimation durant mon séjour et a aujourd’hui le niveau d’une infirmière réanimatrice concernant ma pathologie.
Toutes les personnes susceptibles de rester seules avec vous devront être formées, vous ne devez pas rester seul, particulièrement pour les aspirations trachéales et les éventuels problèmes de respirateur (j’y reviendrai). Mais rassurez-vous, une fois bien équipé, les problèmes techniques sont extrêmement rares. Donc fini la solitude. Le mieux est que la personne qui habite avec vous (si c’est le cas) soit formée à tout. Ça vous évitera d’avoir un auxiliaire de vie 24h sur 24, ce qui n’est pas top pour l’intimité.
Le gros point noir dans la trachéotomie, c’est le changement de canule. Il a lieu une fois par mois pour éviter les adhérences et la porosité éventuelle du ballonnet. Encore une fois, c’est un geste simple mais qui nécessite la présence d’un médecin spécialiste (malgré que certaines infirmières pratiquent et maîtrisent le geste). Sinon, il vous faudra aller à l’hôpital chaque mois pour faire ce changement. Et là ça peut être compliqué, pour moi ce le fut.
Le premier ORL hospitalier à avoir effectué ce changement a oublié de regonfler le ballonnet, ce qui n’est pas gravissime, mais prouve
qu’il n’avait pas l’habitude de pratiquer (pourtant à un an de la retraite), c’est ma femme, voyant le fiasco, qui l’a gonflé. En plus de ça, il nous a conseillé de faire dorénavant un seul changement annuel, ce qui est tout bonnement de l’inconscience.
Le deuxième ORL à s’y être essayé a juste posé la canule neuve et stérile sur la paillasse des urgences avant de me la mettre. L’infirmière alors présente m’a confié après coup n’avoir jamais vu ça. Ça m’a coûté deux mois de fièvre à cause d’un staphylocoque doré et d’un pseudomonas (ces bestioles aiment les trachéotomies). Mais rien de grave.
Alors j’ai décidé de changer d’hôpital et d’aller voir des ORL hyper spécialistes. Et là, quand je me suis aperçu que ce « spécialiste » n’avait jamais vu un système d’aspiration clos, j’étais stupéfait. Ah oui, en passant : vous devez exiger un système d’aspiration clos, beaucoup plus simple d’utilisation et les risques septiques sont quasiment nuls. Il permet également une évacuation plus efficace des sécrétions trachéales.
Moralité : les vrais spécialistes sont rares. Les ORL hospitaliers ne voient pas assez de trachéotomies, les urgentistes sont davantage habitués à les poser en urgence lorsqu’ils ne parviennent pas à intuber. Le vrai spécialiste, pour la pose, pour le changement, pour le suivi, c’est le médecin réanimateur. Il voit des trachéotomies à longueur de journée. Mais on ne peut pas se faire admettre en réanimation pour un changement de canule.
Alors que faire ?
Il faudrait inventer une spécialisation médicale supplémentaire. Mais attendez, on me souffle dans l’oreillette que cette spécialité existe au Canada, sous l’appellation « inhalothérapeutes ». Ils sont compétents sur tout ce qui concerne les soins des voies respiratoires (trachéotomies, VNI, aspirations, oxygène, kiné respiratoire, aérosols…). Alors qu’attendons-nous pour importer cette idée si pertinente ?
En attendant, il vous faudra impérativement trouver un médecin qui accepte de prendre la responsabilité du geste à domicile, ce n’est pas gagné, avec une trachéotomie ventilée à domicile, on rentre dans la cour des grands. A titre d’exemple, je suis le seul de tout mon département dans ce cas.
C’est donc une question de responsabilité. Car le geste peut être fait par une infirmière expérimentée, réanimatrice de préférence, mais un médecin doit superviser l’opération. Ce n’est pas votre généraliste lambda qui prendra cette responsabilité. La plupart du temps vous êtes son seul Charcot et des trachéotomies, il n’en a vu que dans les livres à la fac. Il vous faudra donc trouver la perle rare. Moi, c’est un chef urgentiste qui vient chez moi tous les mois, assisté par une infirmière réanimatrice. D’ailleurs ils viennent de partir et tout s’est très bien passé, comme d’habitude. Il faut dire que c’est un très grand médecin, d’origine sénégalaise et très jeune, ceci explique, peut-être, son manque de frilosité par rapport à certains de ses confrères que j’ai sollicités.
Je peux paraître dur envers le corps médical par moment, mais je pense que c’est davantage une situation subie que voulue pour eux. De toute façon j’ai rencontré trop de soignants formidablement formidables pour me permettre de les critiquer gratuitement, j’essaie juste de faire avancer les choses à ma modeste échelle.
Vous voilà donc trachéotomisé. À noter qu’il est très rare, en médecine, que l’on garde ce type d’appareillage sur le long terme. Elle est principalement utilisée pour des cancers ORL ou lorsque les urgentistes ou les réanimateurs éprouvent des difficultés à intuber un patient. Fort heureusement, elle est retirée après quelques temps dans la plupart des cas.
Nous, c’est différent, on a, en quelque sorte, révolutionné le monde des trachéotomies, on les utilise pour vivre longtemps. Il s’est donc développé un marché, avec des dizaines de modèles de canules, bien plus confortables et performants que les modèles de base tels que ceux utilisés en réanimation. Ballonnets en mousse permettant la déglutition, canules phoniques pour parler, modèles entièrement en silicone extra souple, etc… Si ça continue, ils vont nous sortir des canules connectées.
Tout ça pour vous dire que vous n’êtes pas condamnés à garder la première canule qu’on vous a placée, vous pouvez faire venir des représentants chez vous pour qu’ils vous présentent leur collection, vous êtes un gros client à présent.
Voilà, j’ai essayé d’être complet sans trop rentrer dans les détails.
Je reviendrai dans d’autres articles sur la vie avec une trachéotomie, les risques encourus, vous verrez que beaucoup de fausses idées circulent autour de ce sujet, ce qui est encore plus grave que le manque d’informations.